La Conférence 2012 sur une zone exempte d'armes de destruction massive au Moyen-Orient : un échec programmé?
La question de la prolifération des armes de destruction massive se pose avec d’autant plus d’acuité au Moyen-Orient que trois États – l’Égypte, la Syrie et Israël – ne sont parties ni à la Convention d’interdiction des armes chimiques ni à la Convention des armes biologiques et qu’Israël refuse de signer le Traité de non-prolifération nucléaire (TNP). Tous ces États se sont également engagés depuis plusieurs années dans une politique d’accumulation de missiles de plus en plus performants, capables de transporter tant des charges conventionnelles que non conventionnelles et d’atteindre des cibles éloignées.
Plus de cinquante ans ont été nécessaires pour que le concept de zone exempte d’armes nucléaires et autres armes de destruction massive (ZEAN/ZEADM) soit envisagé concrètement pour la région du Moyen-Orient. Porté par les États de la région eux-mêmes dans différentes enceintes internationales, c’est finalement dans le cadre des conférences de révision du TNP que le processus de création de cette ZEAN/ZEADM a finalement trouvé sa place. Après la résolution sur le Moyen-Orient incluse dans le document final de la Conférence de révision du TNP en 1995, il a fallu attendre celle de 2010 pour que soit décidée l’organisation, pour 2012, d’une Conférence sur l’établissement d’une ZEAN/ZEADM dans la région.
Malgré des efforts tous azimuts du facilitateur désigné pour l’occasion et de la société civile mobilisée au niveau international, au moment de la rédaction de ce rapport, soit deux mois avant la tenue présumée de la Conférence d’Helsinki (fin décembre), tous les flous contenus dans le document de 2010 persistent : la date de l’événement n’est toujours pas connue et la participation de tous les États du Moyen-Orient n’est pas actée. Aucun agenda n’a été établi tandis que la forme que prendront les débats et les objectifs à atteindre à l’issue de la Conférence n’ont pas été fixés.
Plusieurs facteurs semblent augurer de l’échec de cette Conférence, à commencer par le moment choisi pour sa tenue : les changements politiques qu’ont connus certains régimes en place ont changé durablement la donne dans la région au point que certaines relations interétatiques prennent un nouveau tournant ; les troubles politico-sécuritaires que subissent plusieurs États mettent en doute la crédibilité et la légitimité des institutions représentatives et, au-delà, celles des décisions qu’ils sont ou seraient amenés à prendre. En outre, la préparation n’aura pas été optimale puisque jusqu’au bout, l’Iran et Israël laisseront planer le doute sur leur participation, restant ainsi à l’écart des discussions préliminaires sur le sujet. Le développement d’un programme nucléaire iranien demeure également un facteur d’échec plausible de la Conférence, non pas en raison de la réponse possible des États arabes de la région à une telle menace, mais plutôt parce qu’elle rendrait extrêmement difficile, voire impossible, et ce pour de nombreuses années, l’engagement d’Israël dans un processus d’établissement d’une zone exempte d’armes nucléaires et de destruction massive au Moyen-Orient.
Quelques réflexions mériteraient d’être menées avant que ne débute la Conférence, afin de délimiter sa portée géographique et thématique :
- La question de l’intégration de la Turquie doit être posée car elle peut influer sur l’évolution du processus de création d’une ZEADM. Si la Turquie a favorisé des relations de proximité avec l’ensemble de ses voisins régionaux et développe un modèle politico-social attractif pour les sociétés arabes, elle a vu ses rapports avec l’Iran se dégrader considérablement au point de laisser la place à une compétition feutrée pour le leadership régional. Sa condition d’allié inconditionnel des États-Unis, qui lui fait héberger sur une de ses bases des armes nucléaires tactiques américaines et un élément du bouclier antimissile, risque de compliquer des négociations déjà difficiles entre les différents acteurs.
- Afin d’obtenir la participation et une attitude conciliatrice de la part de tous les États du Moyen-Orient, il est impératif de ne viser aucune arme de destruction massive en particulier au risque de stigmatiser certains États et de transformer la Conférence en tribunal pour mauvais élèves.
- Les États de la région n’ayant pas la même perception des menaces, la sécurité des uns s’arrête là où commence celle des autres. La question sécuritaire se révélant un sujet de friction permanente, il pourrait être judicieux d’engager les débats sous l’angle de l’impact humanitaire résultant de l’usage des armes de destruction massive. Cela permettrait de stigmatiser l’emploi de ces armes et donc de le limiter. Plus largement, le débat pourrait s’étendre sur les impacts durables de l’emploi de ces armes en termes environnementaux et sanitaires, en s’appuyant sur des études déjà réalisées ou encore sur l’(in)capacité de ces armes à répondre aux défis actuels et de demain (terrorisme, changement climatique, malnutrition…).
- La Conférence d’Helsinki n’est et ne peut être qu’une première pierre du projet de création d’une ZEAN/ZEADM au Moyen-Orient dont les enjeux englobent une zone allant au-delà de la région : si celle-ci a besoin de volontés et d’initiatives régionales et internationales, elle n’a nullement besoin d’ambition démesurée et d’objectifs inatteignables. Dans cette optique, opter pour des mesures de confiance serait un début modeste mais sûr : déclaration d’engagement des États, adhésion à certains instruments internationaux indirectement liés à la possession d’armes de destruction massive tels le TICE ou le Code de conduite de La Haye.
- La détermination grandissante des États de la région à développer des programmes nucléaires pacifiques pour remédier à leurs pénuries d’énergie pourrait être utilisée comme moyen de pression pour obtenir leur adhésion à des instruments de contrôle des armements tels le protocole additionnel de l’AIEA qui renforce les garanties et les prérogatives de l’Agence.
- Une relance des discussions via le groupe Arms Control and Regional Security pourrait être sérieusement envisagée pour autant que les leçons de ses échecs soient retenues et que des solutions adéquates soient apportées telles la participation de tous les États de la région, le changement de l’entité du médiateur extérieur ou encore la dissociation d’avec le processus de paix.
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