Les trafics d’armes en situation post-conflit, au cœur d’un séminaire du GRIP et de l’IRIS
La synthèse et le compte-rendu du séminaire sont publiés. Cliquez ici pour y accéder. Les armes et les dégâts qu’elles causent sont généralement associés aux conflits. Ceux-ci sont en effet alimentés en grande partie par les trafics et les détournements d’armes (illégaux mais prenant racine dans la sphère légale), sans oublier les transferts légaux et autorisés mais irresponsables. Lorsqu’un pays sort d’un conflit, les trafics d’armes ne s’arrêtent pas pour autant et peuvent même parfois s’amplifier. Ces trafics nourrissent souvent une violence et une criminalité qui profitent du vide de pouvoir et de l’espace créé par la fin des hostilités. En situation post-conflit, les trafics d’armes représentent non seulement une menace pour les efforts de paix et de reconstruction mais aussi un risque pour la stabilité de pays plus lointains, vers lesquels les armes peuvent proliférer. Que ce soit en Afrique, en Amérique latine, en Europe ou au Moyen-Orient, de nombreux exemples récents montrent que la signature d’un accord de paix et l’arrêt des hostilités ne sont pas une fin en soi mais bien une étape vers la paix. C’est à ce stade que doit avoir lieu une redéfinition du rôle des belligérants et des autres parties au conflit (personnes et institutions) mais aussi de la gestion des outils de la violence qu’ils ont utilisés : notamment des armes légères et de petit calibre et leurs munitions.
Le programme du séminaire peut être consulté ici. Il comporte des liens vers une présentation des intervenants.
La problématique des armes et de leurs trafics en situation post-conflit a fait l’objet de discussions lors d’un séminaire organisé par le GRIP et l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) pour le compte de la DGRIS[1] le mardi 24 janvier 2017 à Paris. Une centaine de participants ainsi qu’une dizaine d’experts français et francophones se sont réunis dans le but de dresser un état des lieux des défis et enjeux posés par cette problématique, évaluer et analyser les mesures de contrôle mises en place pour les juguler et formuler des recommandations et des propositions d’action. Les thèmes qui ont été abordés sont le trafic d’armes en provenance des Balkans, l’accompagnement de la levée des sanctions (embargos ou autres) ainsi que la consolidation de la paix et du désarmement. Sans se vouloir exhaustif, cet éclairage reprend quelques-uns des arguments avancés lors du séminaire.
Les trafics d’armes en situation post-conflit : le cas des Balkans
Les armes de guerre utilisées lors des récentes attaques terroristes dans plusieurs pays d’Europe occidentale ont remis au cœur des débats la question des trafics d’armes en provenance des Balkans. Les importants stocks d’armes accumulés dans cette région en conflit durant les années 1990 continuent de circuler sous diverses formes : à petite échelle – au niveau local ou en alimentant les réseaux criminels et même terroristes à travers l’Europe –, ou à plus grande échelle, à destination de zones de conflit comme la Syrie. D’autres armes, démilitarisées (c’est-à-dire rendues inopérantes) après le conflit, sont vendues librement à destination du marché civil et ont été, dans certains cas, remilitarisées pour commettre des actes criminels et terroristes.
Les intervenants au séminaire ont d’abord tenu à déconstruire quelques idées reçues concernant notamment l’afflux de « fameux » fusils d’assaut Kalachnikov en provenance des Balkans. Tout d’abord, bien qu’importante, la filière des Balkans n’est pas la seule qui alimente les réseaux criminels et terroristes en Europe. Quant à la « Kalach », elle ne représente pas plus de 5 % des saisies d’armes en France. Par ailleurs, au-delà de l’image de destruction et de puissance associée à la rafale d’une arme de guerre, la précision et la facilité d’utilisation d’un fusil d’assaut entièrement automatique sont bien moindres que celles d’une arme de poing, par exemple. Ensuite, bien moins lucratif et plus risqué que le trafic de stupéfiants, le trafic d’armes est rarement une fin en soi et l’arme reste principalement un outil visant à faciliter un acte criminel (protection du trafic de stupéfiant, braquages de fourgons) ou à commettre un attentat terroriste.
Le trafic d’armes, et notamment d’armes de guerre, n’en demeure pas moins une importante source d’inquiétude. Le séminaire a permis de souligner les principaux défis liés à la lutte contre les flux illicites d’armes en provenance des Balkans. Tout d’abord, les capacités parfois très limitées des autorités locales nécessitent de solides mécanismes de coopération, d’assistance et de coordination aussi bien au niveau régional qu’au niveau européen. Dans la pratique, la coopération – même renforcée – peut se heurter à un manque de volonté politique, et lorsque cette dernière est réelle, les efforts peuvent être limités par des moyens ou une coordination insuffisants. Les efforts de lutte contre les trafics d’armes en provenance des Balkans souffrent également d’un manque cruel d’informations. En effet, la collecte, l’échange et l’analyse systématiques de renseignements font largement défaut. L’échange d’information et le renseignement sont pourtant des éléments essentiels pour lutter contre un trafic caractérisé par de petites quantités facilement dissimulables (appelé aussi « trafic de fourmi ») et qui peuvent transiter via une multitude de routes, de vecteurs et de pays différents.
L’accompagnement de la levée des sanctions en fin de crise
Les sanctions internationales ou régionales sur les transferts d’armes sont des outils régulièrement utilisés par la communauté internationale pour tenter de limiter la violence armée dans les pays en conflit ou post-conflit. Les Nations unies comptent actuellement 14 régimes de sanctions dont la plupart comprend un embargo sur les armes. Bien que cet instrument soit évolutif et limité dans le temps, la question de l’accompagnement de la levée des sanctions en fin de crise est rarement abordée. La sortie de crise est généralement accompagnée par une levée progressive de l’embargo qui peut parfois courir sur plusieurs années afin de permettre au pays de mettre en œuvre certaines réformes. Ces réformes incluent notamment le renforcement du dispositif national d’acquisition des armes, l’inventaire des stocks étatiques, l’élaboration d’un plan de programmation militaire pour identifier les besoins réels, la poursuite des efforts dans les pratiques de gestion et de sécurisation des stocks ainsi que la mise en œuvre de la réforme du secteur de la sécurité. Le processus de levée d’un embargo sur les armes est non seulement soumis à des considérations techniques mais aussi à de nombreuses considérations politiques. La levée des mesures restrictives se fait souvent lorsque la situation sécuritaire du pays et ses institutions nationales montrent des signes encourageants de redressement tout en demeurant fragiles. La levée complète ou partielle d’un embargo est un signal politique fort en direction des autorités en charge de redresser le pays. Même si les conditions ne sont pas toutes réunies, il peut s’agir d’une mesure nécessaire, voire indispensable afin de soutenir les efforts d’un gouvernement qui cherche encore à asseoir une autorité vacillante.
Consolidation de la paix et désarmement
Cette dernière table ronde fut l’occasion de traiter de la question des programmes de désarmement, de démobilisation et de réintégration (DDR), de leur mise en œuvre, de leurs objectifs et de leur efficacité. Une fois les hostilités terminées, qu’advient-il du groupe armé non étatique qui combattait le gouvernement ? Ses membres vont-ils accepter l’accord de paix, déposer les armes et réintégrer la vie civile ou vont-ils verser dans la criminalité ou encore chercher d’autres terrains de conflits hors du pays ? Que vont devenir les armes éventuellement distribuées à la population ou encore les armes excédentaires des forces gouvernementales ? Les civils qui se sont armés pour assurer leur sécurité accepteront-ils de rendre les armes ? Plusieurs des questions auxquelles les programmes DDR essaient de répondre.
À cheval sur la fin du conflit et la période de stabilisation sécuritaire et de reconstruction socio-économique, les programmes DDR doivent relever de très nombreux défis et affichent bien souvent des résultats mitigés. Cette table ronde a permis d’avancer quelques pistes de réflexion pour renforcer ce type de programme. Le DDR doit s’inscrire dans le cadre d’un accord de paix global et inclusif. Il exige non seulement une réelle volonté politique mais nécessite souvent aussi une assistance internationale qui doit impérativement s’inscrire sur le long terme. La réussite d’un programme DDR dépend par ailleurs de la confiance de la population civile et des anciens combattants envers les autorités. Il s’agit en général d’un des premiers programmes mis en œuvre par le nouveau gouvernement, qui met donc en jeu une part de sa crédibilité. Le développement d’un programme de DDR doit impérativement prendre en compte le profil individuel des anciens combattants (les besoins d’un père de famille ayant trois enfants sont différents d’un jeune isolé de 18 ans) de même que les besoins et les craintes des communautés locales. Finalement, le DDR est un processus qui nécessite de la patience et un engagement sur le long terme dès lors qu’il traite de déchirures et de traumatismes profondément ancrés au sein des communautés (ou entre elles).
Conclusion
Bien que chaque situation ait ses spécificités liées au contexte historique et politique qui prévaut à la fin d’un conflit, ce séminaire a permis de dégager certaines constantes en matière de trafics d’armes dans les pays post-conflit. Malgré la fin du conflit, l’incertitude sécuritaire persiste et s’accroît bien souvent ; dès lors, ni les acteurs du conflit, ni la population n’acceptent directement de rendre les armes, de crainte de devenir plus vulnérables sans elles. Les nouvelles institutions en place sont généralement faibles, contestées politiquement et ne disposent pas de moyens suffisants pour assurer leurs fonctions régaliennes. Cette situation, qui peut persister de nombreuses années, représente un terreau fertile pour les activités illicites et trafics en tout genre, en ce compris les trafics d’armes et de munitions. Ceux-ci peuvent prendre différents visages en fonction de l’évolution politique, sociale et économique du pays dans les mois et les années qui suivent la fin du conflit.
Les auteurs
Christophe Stiernon est chargé de recherche au GRIP pour le projet « Armes légères et transferts d’armes ». Il travaille en particulier sur les questions liées au contrôle des transferts d’armes et les instruments internationaux de contrôle des armes légères et de petit calibre.
Lire aussi :
L’Ukraine : une nouvelle source pour le trafic d’armes, Denis Jacqmin, Éclairage du GRIP, 23 août 2016
Cédric Poitevin et Jihan Seniora, Armes légères : Gestion des frontières terrestres et trafic illicite, Rapport du GRIP 2010/3
[1]. La Direction générale des relations internationales et de la stratégie dépend du ministère de la Défense français.