DOSSIER ÉLECTIONS RDC - Portrait: Edem Kodjo
Edem Kodjo est un homme politique togolais. Ancien Premier ministre de son pays, il a été désigné par l’Union africaine pour « faciliter » le dialogue entre le pouvoir et l’opposition congolaise. À l’instar d’Étienne Tshisekedi, il fait partie d’une génération d’hommes politiques dont l’engagement a été marqué par le développement du multipartisme en Afrique à partir de 1990. Il est loin de faire consensus dans une RDC minée par la crise.
(Crédit photo: Wikimedia)
Ce « Portrait » fait partie du projet du GRIP « Dossier élections RDC : portraits et éclairages thématiques ». Il est publié parallèlement à l’Éclairage « FARDC entre inaction et complicité: le cas des ADF », rédigé par Georges Berghezan.
Entre cénacles du pouvoir, exil et opposition « modérée »
Né en 1938 à Sokodé, au nord du Togo, Edem Kodjo a effectué ses études secondaires au Ghana voisin, puis entamé des études supérieures en France en 1957. Diplômé de l’ENA en 1964, il est ensuite engagé à la Télévision Française (ORTF). Il retourne au Togo en 1967, juste après le coup d’État du colonel Étienne Eyadéma Gnassingbé.
S’ouvre alors une période trouble pour le Togo, qui sera marquée par la présidence interrompue de Gnassingbé pendant trente-huit ans. C’est dans l’ombre de ce dernier qu’Edem Kodjo fait ses premières armes. Nommé Secrétaire général du ministère des Finances, il devient gouverneur auprès du Fonds monétaire international, poste qu’il occupera pendant six ans. En 1969, il est un des fondateurs et devient un des principaux dirigeants du Rassemblement du peuple togolais (RPT), unique parti autorisé au Togo pendant plus de vingt ans.
Durant les années 1970, il devient successivement ministre des Finances et des Affaires étrangères. En 1978, il est élu Secrétaire général de l’Organisation de l’Unité africaine (OUA). Pendant les cinq ans de son mandat, il est confronté à la délicate crise du Sahara occidental, devenu indépendant et immédiatement occupé par le Maroc.
Durant son mandat à l’OUA, il se distancie du régime d’Eyadéma, dont il critique l’autoritarisme. En 1983, il choisit l’exil et revient en France, où il enseigne à la Sorbonne et fonde le magazine Afrique 2000. En 1991, alors qu’un vent de liberté se lève sur l’Afrique, il retourne au pays et fonde l’Union togolaise pour la démocratie (UTD). Deux ans plus tard, il est désigné candidat unique de l’opposition à l’élection présidentielle mais, craignant des fraudes massives, il prône finalement le boycott du scrutin, remporté par Eyadéma. En 1994, le RPT perd sa majorité parlementaire absolue et Kodjo devient Premier ministre d’un gouvernement de coalition entre le RPT et l’UTD, jusqu’à sa démission, deux ans plus tard, lorsque le RPT retrouve sa majorité à la faveur d’un scrutin partiel.
Edem Kodjo retourne donc à l’opposition et, en 1999, il fond son UTD dans une nouvelle formation, la Convergence patriotique panafricaine (CPP). Après avoir été candidat malheureux à l’élection présidentielle de 2003 (0,96 % des voix selon les résultats officiels, qu’il dénonce comme frauduleux), il retrouve, deux ans plus tard, le fauteuil de Premier ministre, cette fois-ci à l’appel de Faure Gnassingbé, fils et successeur d’Eyadéma décédé en février 2005. Il reste une bonne année à ce poste, avant de devenir ministre d’État à la Présidence en 2006. Bien que considérés comme les figures de proue de l’opposition « modérée », Kodjo et sa CPP n’obtiennent aucun siège aux législatives de 2007. Deux ans plus tard, le septuagénaire annonce son retrait de la scène politique intérieure togolaise et son désir de se consacrer à ses projets panafricains, ainsi qu’à ses deux passions, la littérature et la théologie[1]. Jusqu’à ce que la crise de RDC le rattrape…
Échec de la « décrispation » du climat politique
En tant que facilitateur du dialogue inter-congolais, Edem Kodjo a été confronté à de nombreux obstacles dès sa désignation, le 16 janvier 2016, par l’Union africaine (UA). Dès le lendemain, la plupart des partis de l’opposition politique, l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) et les coalitions de la Dynamique de l’opposition et du G7, font savoir qu’ils s’y opposent, dénonçant la médiation de l’UA, jugée trop favorable au président Kabila, et un processus qui ne servirait qu’à entériner le glissement du calendrier électoral. Le premier semestre du mandat d’Edem Kodjo consiste dès lors à concilier deux mouvances opposées, qui se rejettent mutuellement la responsabilité du retard dans l’organisation de l’élection.
Les blocages sont nombreux dans ce processus. L’UDPS et son président, Étienne Tshisekedi, initialement favorables au dialogue, soumettent leur participation à une série de conditions. Edem Kodjo, pour qui « il n’y aura pas de dialogue politique sans l’UDPS »[2], plaide auprès du gouvernement pour que ce dernier réponde aux demandes de l’opposition, dont la libération des prisonniers politiques, la liberté des médias, puis l’abandon des poursuites engagées contre Moïse Katumbi. Ces conditions font écho aux demandes de plusieurs mouvements citoyens et organisations de défense des droits de l’homme, qui réclament l’abandon complet des charges contre tous les prisonniers politiques – et non plus seulement la libération – en contrepartie de leur participation.
La convocation, pour le 23 août, du comité préparatoire au dialogue à l’initiative de Kodjo, alors que les doléances de l’opposition n’ont pas été rencontrées, contribue à la crispation du climat politique et conduit de nombreuses formations à refuser toute participation. Si le facilitateur a déclaré le 15 juillet que « l’essentiel est fait » en ce qui concerne les demandes de l’opposition, la lecture des différentes plateformes est toute autre. Par la voix de son secrétaire, l’UDPS – membre de la nouvelle coalition du Rassemblement des forces politiques et sociales acquises au changement fondé à Genval (Belgique) en juin – dénonce « la précipitation avec laquelle Monsieur Kodjo a lancé, unilatéralement, l’invitation pour les travaux préparatoires du dialogue »[3]. Ce dernier débute finalement le 1er septembre, quelques jours après la libération d’une poignée de prisonniers politiques. Par ailleurs, les médias jugés proches de l’opposition n’ont pas été rouverts, et les charges qui pèsent contre Moïse Katumbi sont maintenues. Les conditions posées par les principales formations n’ayant pas été remplies, le Rassemblement, la Dynamique et le G7 déclinent l’invitation du facilitateur.
Facilitateur d’un dialogue dénaturé
De fait, le dialogue qui s’est tenu en septembre et octobre a été marqué par l’absence de la plupart des partis de l’opposition et des représentants de la société civile. Déjà, selon les conclusions du comité préparatoire, l’objet du dialogue portait davantage sur la finalisation d’un nouvel accord de partage du pouvoir que sur la tenue d’élections selon les termes constitutionnels – avant le 19 décembre 2016.
Si à la faveur de la médiation d’Edem Kodjo, un nombre limité de prisonniers politiques ont été libérés, il n’en demeure pas moins que ceux-ci bénéficient d’une liberté conditionnelle et que les charges n’ont pas été abandonnées. Malgré les efforts du facilitateur auprès de Kabila pour que les médias pro-opposition rouvrent, la répression et la censure s’accroissent. Ces constats, couplés aux conclusions du comité préparatoire – à l’opposé des attentes d’une majorité de l’opposition – ont contribué à détourner cette dernière du dialogue.
Le dialogue, qui se voulait lieu de discussions de l’ensemble des forces politiques congolaises, s’en trouve dénaturé. Les accords qui en sont issus et ont été signés le 18 octobre entérinent le glissement du calendrier électoral. Les chances d’organiser les élections dans les délais constitutionnels s’évaporent. Les participants au dialogue se sont accordés pour « préparer et organiser les élections présidentielle, législatives et provinciales dans un délai de six mois dès la convocation des scrutins le 30 octobre 2017 »[4]. De fait, le pouvoir a tendu une main timide vers une partie de l’opposition, et nommé un Premier ministre issu de ses rangs. Ce dernier, Samy Badibanga, est cependant loin de faire l’unanimité.
S’il n’en a pas été l’architecte, Edem Kodjo s’est révélé être un acteur important du dialogue. En dépit de ses succès relatifs, ses nombreuses maladresses – de communication notamment – ont contribué à produire un accord que l’on ne pourrait qualifier d’apaisant. En témoignent les harangues d’Étienne Tshisekedi, qui n’a de cesse d’affirmer qu’il convoquera, lui, un « vrai » dialogue inclusif. Alors que l’encre des rares signatures des conclusions du dialogue est maintenant bien sèche, le rôle du facilitateur dans la crise congolaise semble se terminer. Son appel au respect de l’accord semble être jusqu’à maintenant écouté par la majorité présidentielle : un Premier ministre issu de l’opposition a été nommé. Pour ce qui en est de la tenue d’élections en avril 2018, l’énarque togolais devra patienter.
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L’auteur
Clément Hut est chercheur assistant au GRIP et diplômé de relations internationales.
[1]. La quatrième vie d'Edem Kodjo, Jeune Afrique, 20 mai 2009.
[2]. Edem Kodjo : il n’y aura pas de dialogue sans l’UDPS, Radio Okapi, 21 mai 2016.
[3]. Bruno Mavungu, Communiqué de presse de l’UDPS, Kinshasa, 24 juillet 2016.
[4]. Accord politique pour l’organisation d’élections apaisées, crédibles et transparentes en République démocratique du Congo, Primature de la RDC, 18 octobre 2016.