Commerce illicite d’armes légères: Cinq thématiques débattues à l'ONU (Revcon3, New York)
Du 18 au 29 juin se tient à New York la 3e conférence de révision (RevCon3,) de la mise en œuvre du Programme d’action (PoA) des Nations unies en vue de prévenir, combattre et éliminer le commerce illicite des armes légères sous tous ses aspects. Adopté en 2001, le PoA est un instrument politiquement contraignant exigeant des États membres des Nations unies l’adoption de règles nationales sur la lutte contre le trafic des armes légères et de petit calibre (ALPC). Le Traité encadre notamment les questions de production, de marquage, de transfert, de courtage, de sécurisation des stocks d’ALPC, mais aussi la destruction des armes obsolètes ainsi que l’assistance et la coopération entre États. En 2005, dans la lignée du PoA, les Nations unies ont également adopté l’Instrument international de traçage (ITI) visant à encadrer et faciliter les mesures de marquage, traçage et conservation des données des ALPC.
Crédit photo: IANSA - les participants à la conférence ont arboré la couleur orange en hommage à Helena Ramsay, tombée à l'âge de 17 dans la tuerie de l'école de Parkland. (Wear Orange. End Gun Violence).
Le PoA a déjà connu deux conférences de révision visant à évaluer sa mise en œuvre en 2006 et 2012[1]. Les résultats ont été décevants faute de consensus politique sur les suites à donner au processus. La RevCon3, qui se tient actuellement au siège des Nations unies, se déroule dans un contexte politique différent des précédentes. Les récents attentats en Europe et aux États-Unis, dont certains ont été réalisés avec des armes légères provenant du trafic illégal, ont relancé l’intérêt des États pour un meilleur contrôle des ALPC illicites. C’est la France qui préside actuellement les discussions et ce n’est pas anodin. Après les attentats de Paris, un regain d’attention politique a (ré)émergé dans l'Hexagone autour de la réglementation des ALPC et de la lutte contre le trafic illégal de ces armes.
Le document actuellement amendé par les États membres en est à sa troisième version. Si les interventions des divers délégués traduisent logiquement les spécificités et priorités propres à chaque État, cinq thèmes principaux retiennent l'attention, soit par leur nouveauté soit par leur caractère clivant.
Les munitions
Les munitions sont sans doute le sujet le plus épineux de toutes les négociations du PoA depuis son adoption. Véritable « carburant des conflits », les munitions représentent la moitié du commerce légal des ALPC et de leurs pièces et accessoires au niveau mondial[2]. Si les ALPC sont des objets relativement durables (leur durée de vie pouvant excéder 50 ans si elles sont adéquatement conservées), les munitions sont des consommables nécessitant un approvisionnement régulier, surtout lors d’un conflit. Les munitions avaient déjà fait l’objet d’un compromis douloureux lors de la 6e réunion biennale des États parties en 2016[3], les États étant particulièrement divisés sur cet enjeu. De nouveau, la question des munitions est revenue au cœur des discussions sous l’effet d’une pression exercée par plusieurs États européens, africains (Ghana, Sierra Leone) et sud-américains/ des Caraïbes (Argentine, Costa Rica, CARICOM). Il semble qu'une majorité d'États soit favorable à l’intégration des munitions dans le PoA. Elle doit cependant composer avec une opposition incarnée principalement par les États-Unis, la Chine, la Russie et certains pays du Moyen-Orient (Iran, Syrie, Israël, Égypte).
La dimension de genre
Les femmes et les filles souffrent de façon différenciée (par rapport aux hommes) de l’usage des ALPC à la fois dans les conflits armés et dans les contextes de violence domestique. S’efforçant de prendre en considération cette donnée, la proposition de Déclaration de la RevCon 3 prévoit une politique de « gender mainstreaming » dans le cadre de la mise en œuvre du PoA. L’initiative s’attache plus particulièrement à la collecte de données statistiques ventilées selon le sexe. La démarche vise à permettre une meilleure compréhension de l’impact des ALPC en fonction du genre et d’adopter en conséquence des politiques de contrôle plus ciblées. Le projet de Déclaration encourage également la participation des femmes dans l’élaboration de ces politiques. Cette inclusion de la dimension de genre n’a jusqu’ici pas créé de controverses majeures. Quelques délégations[4] ont cependant estimé que le forum n’était selon elles pas approprié pour évoquer la question des violences basées sur le genre et du rôle des femmes dans les conflits armés[5].
Le lien avec les objectifs de développement durable (Agenda 2030)
Le 15 septembre 2015, les États membres des Nations unies ont adopté l’Agenda du développement durable 2030, un ensemble d’objectifs destinés à mettre fin à la pauvreté, protéger l’environnement et assurer la paix et la prospérité pour tous[6]. La référence à l’objectif 16.4[7] des Objectifs de développement durable (ODD) occupe tout une section du troisième projet de Déclaration de la présidence française, notamment sur les synergies entre le PoA et les ODD. Une controverse a néanmoins émergé sur l’ampleur de ce lien entre les deux processus avec des États en faveur d’une mention maximaliste de l’Agenda 2030 (notamment, la Suisse et la Suède, les Pays-Bas) et d’autres demandant une référence stricte à l’Objectif 16.4 (États-Unis et Syrie, par exemple).
Le lien avec le TCA et d’autres instruments de contrôle des armes
Un autre élément problématique aux yeux de certaines délégations sont les références à d’autres instruments juridiques tels que le Traité sur le commerce des armes (TCA), le Protocole sur les armes à feu ou le Registre des Nations unies sur les armes classiques. Ces références devaient permettre des synergies pour les États parties notamment en matière de rapportage. Bien que le projet de Déclaration de la présidence française ait mentionné ces liens « uniquement pour les pays qui sont parties à de tels instruments », ces références ont fait l’objet de critiques fermes et récurrentes de la part de plusieurs États (dont les États-Unis, l’Iran, Cuba ou encore l’Égypte). La plupart des références au TCA et aux autres instruments ont été retirées du projet de Déclaration en cours de discussion.
Les nouvelles technologies
En mars 2018, la Belgique avait insisté dans un working paper[8] sur la nécessité de prendre en compte les évolutions technologiques des ALPC et leur impact en termes de marquage et de traçage des armes[9]. En effet, les armes récentes contiennent des parties en polymère (carcasses et boites de culasse) qui permettent d’économiser du poids. Or, le marquage sur le polymère est moins résistant que le marquage sur du métal et moins facilement récupérable en cas d’effacement. De plus, l’avènement des armes modulaires (spécifiquement conçues pour pouvoir adopter différentes configurations autour d’un élément principal) soulèvent des interrogations quant à ce qui doit être marqué afin d’éviter l’apparition de « fusils-fantômes » (c'est-à-dire non marqués) ou au contraire de « fusils Frankenstein » (portant plusieurs marquages différents). Ces questions techniques sont restées marginales pendant les deux semaines de conférence. Les délégations belge, autrichienne et celle de l’Union européenne sont parmi les rares qui ont abordé le sujet. Une explication de cette discrétion réside sans doute dans le fait que ces armes sophistiquées et onéreuses sont encore peu présentes parmi les armes trafiquées.
Les premières sessions de discussion sur le projet de Déclaration étaient ouvertes aux ONG (dont le GRIP) et aux lobbys accrédités. Les discussions finales sur le document se feront probablement à huis clos. Il reste donc à voir si la présidence choisira une approche maximaliste au risque de repartir sans accord ou si certains enjeux (notamment, les munitions) feront l’objet d’un langage « diplomatique créatif » qui diminuera la portée de la déclaration finale.
Auteur
Denis Jacqmin est chercheur au GRIP, dans l’axe « armes légères et transferts d’armes ». Il a travaillé pour le SPF Affaires étrangères et a été observateur international pour les missions SMM Ukraine (2014‑2015) et EUMM Georgia (2012-2013).
[1]. Pour un aperçu des enjeux de la RevCon2, voir SENIORA Jihan, Conférence d’évaluation du Programme d’action sur les armes légères : l’échec n’est pas permis, Note d’Analyse du GRIP, 17 août 2012, Bruxelles.
[2]. Voir Janis Grzybowski, Nicholas Marsh, Matt Schroeder, Piece by Piece: Authorized Transfers of Parts and Accessories, dans Small Arms Survey 2012: Moving Targets.
[3]. Voir article 9 du Rapport final de la sixième Réunion biennale des États pour l’examen de la mise en œuvre du Programme d’action en vue de prévenir, combattre et éliminer le commerce illicite des armes légères et de petit calibre sous tous ses aspects, Nations unies, A/CONF.192/BMS/2016/2, 15 juin 2016.
[4]. Surtout l’Iran et la Syrie.
[5]. Référence à la Résolution 1325 des Nations unies.
[6]. Résolution adoptée par l’Assemblée générale le 25 septembre 2015. Pour une visualisation plus explicite des ODD, voir ici.
[7]. L’Objectif 16.4 se lit comme suit: « D’ici à 2030, réduire nettement les flux financiers illicites et le trafic d’armes, renforcer les activités de récupération et de restitution des biens volés et lutter contre toutes les formes de criminalité organisée. »
[8]. Working paper submitted by Belgium, Towards an effective marking, record-keeping and tracing of modular and polymer firearms, 5 mars 2018.
[9]. Pour un aperçu complet des défis liés aux nouvelles technologies dans le domaine des ALPC, voir STIERNON Christophe, Armes légères et nouvelles technologies: quels défis pour le contrôle des ALPC, Note d’Analyse du GRIP, 11 septembre 2015, Bruxelles.