Les défis de la destruction des armes à feu
Le 9 juillet est la journée internationale consacrée à la destruction des armes à feu. Cette journée spéciale a été décidée en marge de l’adoption du Programme d’Action des Nations unies sur les Armes légères, en 2001, et fournit l’occasion d’éclairer les principes de cette étape discrète du contrôle des armements.
Le détournement d’armes à feu vers des acteurs non autorisés (criminels, terroristes ou groupes rebelles) peut avoir lieu à chaque étape du cycle de vie d’une arme depuis sa production, son transfert vers un client jusqu’à sa destruction ou neutralisation. Or, cette dernière phase de destruction des armes à feu fait généralement l’objet de moins d’attention que celle des transferts, qui cristallisent les craintes liées au changement de propriété, de territoire, et donc de juridiction. Elle n’en constitue pas moins une étape cruciale pour réduire le risque de voir des armes tomber entre de mauvaises mains.
Crédit photo : Destruction d'armes dans le cadre de la Mission des Nations unies au Libéria (source UN Photo/Staton Winter)
Les armes destinées à la destruction peuvent provenir de différentes sources : elles peuvent être des armes illégales saisies par les forces de l’ordre, des armes rendues par des civils dans le cadre de campagnes d’amnistie ou de processus de désarmement post-conflit, voire encore des armes en surplus ou obsolètes stockées dans les arsenaux gouvernementaux. Pourtant, la destruction n’est qu’une des suites possibles parmi d’autres à donner à de tels équipements (vente aux enchères, dons, remise en circulation) et demeure loin d’être systématique. De ce fait, tout l’enjeu du processus de destruction réside dans la capacité des autorités à discerner la valeur ajoutée de la démarche vis-à-vis d’autres options, de sélectionner le meilleur moyen d’y parvenir et d’éventuellement solliciter un appui extérieur pour garantir un résultat irréversible.
Pourquoi détruire des armes à feu ?
Détruire les armes à feu illégales, en surplus ou défectueuses reste le meilleur moyen d’éviter que celles-ci ne tombent dans de mauvaises mains. De nombreux exemples concrets montrent que les armes non détruites peuvent être volées ou revendues par des officiers corrompus[1].
Des vols ont ainsi eu lieu dans différents tribunaux au Brésil en 2017, lors desquels des centaines d’armes liées à des procès en cours ont été dérobées par des criminels.
Les stocks gouvernementaux d’armes en surplus (par exemple dans les Balkans ou en Ukraine) représentent aussi un risque de détournement vers la sphère criminelle suite à des actes de corruption des officiers chargés de gérer ces stocks. Les gouvernements qui disposent de tels stocks d’armes peuvent également être tentés de les vendre sur le marché national (collectionneurs) ou international à des prix très bas sans être très regardant sur les acheteurs. Enfin, les armes défectueuses peuvent toujours servir de source pour des pièces détachées ou être transformées en armes artisanales. C’est pour cela que le groupe d’experts gouvernementaux des Nations unies sur les armes légères et de petit calibre avait recommandé dans son rapport à destination du Secrétaire général en 1997 :
« Tous les États devraient imposer des restrictions au transfert des surplus d’armes légères et de petit calibre fabriquées aux seules fins d’être détenues et utilisées par des militaires et des policiers. Tous les États devraient envisager aussi la destruction complète des surplus d’armes de ce type. »[2]
Le Programme d’Action des Nations unies va plus loin demandant aux États membres de « S’assurer que les armes légères confisquées, saisies ou rassemblées soient détruites, compte tenu des éventuelles contraintes d’ordre juridique qui pourraient être liées à la préparation de poursuites pénales, à moins qu’une autre méthode d’élimination ou d’utilisation ait été officiellement autorisée, et sous réserve que les armes concernées soient dûment marquées et enregistrées. »[3]
La destruction reste donc le moyen le plus sûr de s’assurer que des armes non utilisées par les forces de sécurité ne soient pas détournées. Reste à savoir comment garantir l’irréversibilité de l’opération.
Comment détruire des armes à feu ?
Les méthodes de destruction des armes à feu sont nombreuses et vont des plus rudimentaires aux plus coûteuses[4]. La méthode la plus appropriée sera choisie suivant différents paramètres : le nombre d’armes à détruire et leur localisation, l’équipement disponible, le coût de l’opération, les conditions de sécurité (pour le personnel qui détruira les armes et pour éviter les vols), les besoins en termes de publicité de l’opération et son potentiel impact éducatif, l’impact environnemental[5] ainsi que la transparence et le rapportage (la tenue des comptes précis des armes détruites et des coûts liés à ces opérations).
L’objectif final de toutes ces méthodes est de parvenir à la destruction complète et irréversible des armes de manière à ce qu’aucune pièce ne soit réutilisable tout en garantissant la sécurité de l’opération.
On peut distinguer les méthodes industrielles qui demandent une installation conséquente telles que le découpage par cisaille hydraulique ou l’écrasement dans une presse hydraulique voire encore la fonte dans une fonderie ou le broyage. Ces méthodes seront privilégiées pour le traitement de grandes quantités d’armes qui seront alors collectées et amenées sur le site de destruction.
Pour détruire de petites quantités d’armes ou favoriser des équipes de destruction mobiles, les méthodes de découpe au chalumeau oxyacétylénique, oxycoupeur à essence ou chalumeau plasma permettent des découpes d’armes sur le terrain avec une empreinte logistique faible. Ces dernières méthodes peuvent être utilisée par de petites équipes et ne nécessitent pas de source de courant électrique ou d’infrastructures lourdes. Les armes peuvent également être brûlées sous forme de buchers, ce qui permet un fort impact symbolique pour les communautés locales sans pour autant être très efficace en termes de destruction.
Enfin, les armes peuvent être écrasés par des engins lourds (chars, engins de chantier), immergées en mer dans de containers percés, enterrées dans des futs remplis de ciment ou encore détruite par explosion à ciel ouvert. Chaque méthode a ses avantages et ses inconvénients d’où la nécessité d’une phase de planification avant tout programme de destruction pour choisir la méthode la plus appropriée et avec le meilleur rapport coûts- bénéfices. Si l’expertise, les connaissances ou les ressources matérielles venaient à manquer à l’État qui entreprend de détruire des armes, celui-ci peut compter sur divers mécanismes de soutien multilatéraux ou bilatéraux.
Programme d’assistance internationaux
La destruction de stocks d’ALPC peut en effet être coûteuse, surtout dans le cadre de destruction de larges arsenaux. Les mesures de sécurité, les opérations de transport et la construction d’installations de destruction peuvent décourager certains États de procéder à la destruction de leur surplus. Les bénéfices issus de la récupération des matériaux ferreux n’est généralement pas suffisante pour financer ce type d’opérations. De plus, pour certains pays issus du bloc de l’Est, la tâche est immense. Par exemple, les estimations pour l’Ukraine font état de 7 à 15 millions d’ALPC en surplus dans les arsenaux étatiques[6]. Pour faire face à ces défis, des programmes d’assistance internationaux ont été mis en place par l’Union européenne, l’OSCE, l’OTAN[7] ou encore les Nations unies[8]. D’autres programmes ont également été lancés individuellement par certains pays. Les États-Unis ont ainsi lancé des programmes de destruction de MANPADS (missiles sol-air portables), armes particulièrement ciblées pour leur dangerosité si elles tombaient dans les mains de groupes terroristes. Par ailleurs, des initiatives existent également pour aider les autorités à recycler et à valoriser la matière brute récupérée après destruction.
Une initiative intéressante, l’Humanium
Humanium Metal est une initiative de l’ONG suédoise IM (Individuell Människohjälp) soutenue par la coopération au développement suédoise. Le métal Humanium est produit à partir d’armes détruites et recyclées au Guatemala et au Salvador, des pays durement touchés par la violence liée aux armes. Ce « nouveau » métal (acier) est ensuite utilisé par différents fabricants pour la conception de bijoux, câbles, montres, vélos qui ont une valeur symbolique supplémentaire de par la provenance du métal. Une partie du profit est ensuite reversée à des associations de victimes de fusillades et aident les communautés affectées par la violence armée. De par sa valeur symbolique, le métal Humanium a une valeur commerciale bien supérieure à celle de l’acier qui serait revendu à un ferrailleur. D’autres pays d’Amérique latine tels le Honduras ou la Colombie pourraient rejoindre le programme[9].
Et en Belgique ?
En Belgique, la destruction des armes à feu est une prérogative du Banc d’épreuve de Liège. Le Banc d’épreuve peut stocker jusqu’à 10 000 armes et la destruction se fait généralement par fonte dans un haut fourneau[10]. En 2017, le Banc est tombé sous les feux des projecteurs lorsque son directeur a été suspendu en raison de son implication présumée dans le détournement d’armes destinées à la destruction puis revendues à des collectionneurs[11]. Un peu plus tard, l’établissement a à nouveau été mis à mal par l’intrusion volontaire d’un journaliste de la chaîne VTM, mettant en lumière des failles dans le système de sécurité qui fût par la suite renforcé. L’ancien directeur n’a pas encore été jugé mais les deux incidents (soupçons de détournement et questions liées à la sécurité) montrent que la destruction des armes illégales, en surplus ou endommagées est une question qui mérite qu’on s’y attarde, y compris en Belgique.
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Auteur
Denis Jacqmin est chercheur au GRIP dans l’axe « armes légères et transferts d’armes ». Il a été observateur international pour les missions SMM Ukraine (2014-2015) et EUMM Georgia (2012-2013).
[1]. Pour de nombreux exemples de vols, détournements ou ventes d’armes stockées, voir Danssaert Peter, Wood Brian, Surplus and Illegal Small Arms, Light Weapons and their Ammunition: the consequences of failing to dispose and safely destroy them, IANSA & IPIS, 2017.
[2]. Nations unies, Rapport du Groupe d’experts gouvernementaux sur les armes de petit calibre, A/52/293, p. 22-23.
[3]. Nations Unies, Programme d’action en vue de prévenir, combattre et éliminer le commerce illicite des armes légères sous tous ses aspects, A/CONF.192/15, p. 8.
[4]. United Nations Security Council, Report of the Secretary-General, Methods of destruction of small arms, light weapons, ammunition and explosives, S/2001092, p. 7-16.
[5]. Ibid., p. 5.
[6]. Ces chiffres sont des estimations basées sur des extrapolations à partir d’un échantillon de dépôts recensés. Voir GRIFFITHS Hugh, KARP Aaron, Ukraine: Coping with Post-Soviet Legacies, Contemporary Security Policy, Volume 29, 2008 - Issue 1, p. 208-209.
[7]. À travers son agence NAMSA (NATO Maintenance and Supply Agency).
[8]. Via le PNUD, le Programme des Nations unies pour le Développement.
[9]. Humanium Metal press kit, http://humanium-metal.com
[10]. Site du ministre de la Justice Koen Geens, « Des milliers d’armes retirées définitivement du circuit illégal », 12 avril 2018.
[11]. « Le directeur du banc d'épreuves des armes à feu de Liège fait annuler partiellement une loi », RTBF, 19 mars 2019.