Le Conseil de Coopération du Golfe: un acteur central mais fragile
Alors que les monarchies du Golfe sont sous les feux des projecteurs au Yémen, quel est le rôle joué par l’organisme dans lequel elles sont regroupées – le Conseil de Coopération du Golfe (CCG) – dans la sécurité régionale ?
En regroupant les États d’Arabie saoudite, du Bahreïn, des Émirats arabes unis, du Koweït, du Qatar et de l’Oman, le CCG s’affirme comme un acteur central de la région tant au niveau de sa portée géographique que du niveau des dépenses militaires de ses membres, qui ont constitué plus de 50% du total de la région moyen-orientale ces cinq dernières années[1].
Créé en 1981 par six États du Golfe soucieux de se regrouper pour équilibrer les deux grandes puissances alors en guerre, Iran et Irak, le Conseil de Coopération du Golfe est dirigé par un Conseil suprême, réunissant les chefs d’État annuellement[2]. Il détermine la politique générale en vue de renforcer la coopération dans tous les domaines et progresser sur la voie d’une « unité » des États, qui passe d’abord par leur sécurité.
Néanmoins, le CCG reste marqué par un déséquilibre entre membres, avant tout démographique et militaire, en faveur de l’Arabie saoudite qui utilise ainsi le Conseil comme vecteur d’influence de sa propre politique étrangère. (Crédit photo: www.totalwartv.com)
La mise en place du dispositif de défense : la PSF ne suffit pas
La Peninsula Shield Force (PSF) constitue pour le moment la seule force armée commune du CCG, dont les effectifs sont compris entre 5 000 et 7 000 hommes fournis par tous les pays[3] Conçue comme une force défensive censée absorber le premier choc en cas d’attaque extérieure, la PSF semble mal préparée à intervenir dans les scénarios stratégiques actuels de type « asymétrique ».
D’abord, elle souffre d’une inégale capacité de projection de ses contributeurs, notamment du Bahreïn insulaire. Ensuite, l’absence de véritable composante aérienne limite la possibilité d’opérations conjointes et la collecte de renseignements[4]. Enfin, le fait que les exercices communs se déroulent de manière irrégulière entrave la définition d’une véritable doctrine d’emploi des forces communes[5].
La PSF semble ne pas avoir été considérée comme fiable par les États membres eux-mêmes : déployée seulement trois fois depuis sa création, elle n’acquiert de la visibilité qu’en 2011, lors de l’intervention au Bahreïn. Le manque de confiance dans l’instrument de défense commun transparait justement dans la recherche par les États membres de soutien extérieur.
En effet, la décennie 2000 a vu les États-Unis établir des bases militaires dans tous les pays du CCG. De plus, l’US CENTCOM organise chaque année un exercice de grande ampleur entre les forces américaines et celles des pays du Golfe, nommé Eagle Resolve, destiné à renforcer leur interopérabilité. Au-delà d’un simple manque de confiance dans les capacités de la PSF, la recherche de la coopération extérieure en matière de sécurité met également en lumière les rivalités internes entre membres du CCG.
Les jeux de pouvoir entre membres : l’Arabie saoudite et les autres
L’une des illustrations des divergences intérieures au Conseil concerne la mise en place d’un accord de sécurité intérieure. Celui-ci a en effet été adopté dès 1983, mais n’est entré en vigueur qu’en 2013, à la 4e ratification. En substance, il oblige les États à prendre des mesures judiciaires contre leurs citoyens qui se rendraient coupables « d’interférence » dans les affaires des autres, prévoit un droit de poursuite de 20 km en territoire étranger ainsi que l’extradition des activistes hostiles à l’un ou l’autre régime. Aujourd’hui, le Koweït reste résolument hostile à l’accord, qu’il est le seul à ne pas avoir ratifié, en raison notamment de la crainte d’incursions saoudiennes que permettrait le droit de poursuite[6].
Mais l’opposition la plus vigoureuse à la politique de l’Arabie saoudite provient certainement d’Oman. En effet, le sultan Qaboos entretient historiquement des relations cordiales avec l’Iran, et le shah avait directement contribué à la défaite de l’insurrection séparatiste de la province omanaise du Dhofar dans les années 1960-1970[7]. Or, en 2011, l’Arabie saoudite proposa de passer du Conseil à une « union » des pays du Golfe, un terme au contenu flou mais qui visait principalement à unifier la politique étrangère du groupe autour d’un front commun hostile à l’Iran. Lorsque le projet fut relancé en 2013 après des tergiversations, Oman déclara qu’il s’y opposait et quitterait le CCG en cas de réalisation, ce qui condamnait la réalisation du projet[8]. La volonté de maintenir un équilibre entre le CCG et Iran s’est également manifesté par le refus du sultan de participer à l’intervention au Yémen, que la coalition saoudienne dépeint comme une lutte contre les alliés de l’Iran.
Face à l’instabilité des révoltes arabes : le CCG en retrait
Les divergences d’intérêt et de politique étrangère entre membres expliquent en partie que les opérations militaires des membres du CCG se soient déclinées, depuis 2011, seulement marginalement dans le cadre du CCG lui-même.
Dans les cas de la Libye, de la Syrie et du Yémen, on retrouve une configuration ad hoc : les EAU ont bombardé des milices libyennes à partir de base égyptiennes, tandis qu’un axe informel Ryiad-Doha-Ankara émergeait dès avril 2012 pour soutenir et équiper les groupes d’opposition syriens[9]. En ce qui concerne le Yémen, cinq des six membres du CCG y participent, mais dans le cadre d’une coalition ad hoc plus large dirigée par l’Arabie saoudite.
Au final, seule l’intervention au Bahreïn, en 2011, fut exécutée par la PSF. Le déploiement incluait 1 000 à 1 200 Gardes nationaux saoudiens et 500 à 800 policiers émiratis, déployés sur demande du roi bahreïni al-Khalifa, qui craignait une intervention armée ou un soutien de l’Iran aux manifestations populaires chiites[10]. Toutefois, aucune attaque conventionnelle n’eut lieu de la part d’un pays tiers contre le territoire du Bahreïn, ce qui fit prendre à l’opération l’allure d’un appui à la répression menée par les forces de sécurité bahreïnies.
Si les divergences d’intérêt constituent un facteur d’explication de la marginalisation de la PSF, les capacités limitées du bras armé du CCG en forment un second. La mise en place d’un commandement unifié doté de 100 000 hommes, annoncé en 2013, constitue le principal horizon du CCG en matière défense et pourrait former un instrument plus crédible dans le cadre d’une confrontation avec l’Iran[11]. Toutefois, la lenteur des progrès de mise en œuvre ainsi que la proclamation d’une armée de la Ligue arabe concurrente rendent incertaine la réalisation de ce commandement.
Pour plus d’informations, voir Léo Géhin, Conseil de Coopération du Golfe : une politique de puissance en trompe-l’œil, Rapport du GRIP, 6 janvier 2016. (www.grip.org/fr/node/1892)
L’auteur
Léo Géhin est chercheur au GRIP pour le projet « Armes légères et transferts d’armes ». Diplômé en sciences politiques de l’université Lyon III, il travaille notamment sur les questions liées au contrôle des transferts d’armements de l’Union européenne.
[1]. Voir SIPRI, SIPRI Yearbook 2015 : Armaments, Disarmament and International Security, Oxford, Oxford University Press, 2015, p. 386-387.
[2]. The Cooperation Council for the Arab States of the Gulf, The Charter, 25 mai 1981.
[3]. SHAHEEN Karim, « Defensive Shield for the Gulf since 1982 », The National, 16 mars 2011.
[4]. RAND Corporation, The 2008 Battle of Sadr City : Reimagining Urban Combat, 2013, p. xviii et xix.
[5]. KUFFEL, op. cit., p. 12.
[6]. Entretien avec DA LAGE Olivier, journaliste à RFI et spécialiste du Moyen-Orient.
[7]. RAND Corporation, « Oman : A Unique Foreign Policy », Research Brief 2501.
[8]. Al-RASHEED Madawi, « Omani Rejection of GCC union adds insult to injury for Saudi Arabia », Al Monitor, 9 décembre 2013.
[9]. Reuters, « Saudi Arabia and Qatar Funding Syrian Rebels », 23 juin 2012.
[10]. BICI, Report of the Bahrain Independent Commission of Inquiry, 10 décembre 2011, p. 125 et 387.
[11]. AWAD Mustafa, « GCC announces a Joint Military Command », Defense News, 11 décembre 2013.