Armes : que changera réellement le décret wallon ?
Le secteur wallon de l’armement est sur le pied de guerre. Grèves, menaces, désinformation, tout l’arsenal est mobilisé pour faire obstacle au projet de décret sur les procédures relatives aux exportations et transferts d’armes actuellement sur la table du gouvernement wallon.
Les organisations syndicales nous promettent « un cataclysme social », menaçant de mettre le bassin liégeois « à feu et à sang ». La rengaine est connue. Mais tellement démagogique dès lors qu’elle concerne un secteur dont beaucoup d’autres pourraient envier la bonne santé : malgré un cadre réglementaire de plus en plus contraignant en matière de commerce des armes, le chiffre d’affaires de la FN Herstal a progressé de 117% entre 2000 et 2010, l’emploi de 25%, tandis que le bénéfice après impôt est en hausse de plus de 613%. Démagogie encore lorsqu’on s’interroge sur les raisons d’une telle grogne. Car le projet de décret wallon actuellement combattu par le secteur sera tout sauf une révolution.
D’une part, il doit transposer en droit wallon une directive européenne qui vise à simplifier les conditions de transfert de matériel de défense au sein de l’Union européenne. Le secteur de l’armement devrait se réjouir de voir ici aboutir une revendication qu’il portait depuis des années : la plupart des transferts d’armes entre pays membres de l’Union européenne ne nécessiteront désormais plus de licence individuelle mais pourront s’opérer sous le couvert de licences globales ou générales. Une évolution qui n’est pas sans risque aux yeux du GRIP et des ONG (Amnesty, Ligue des Droits de l’Homme, CNAPD,…), mais qui peut cependant se concevoir dans l’esprit de la construction européenne ; une évolution qui fut adoptée par le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne dans le but d’accroitre « la compétitivité du secteur de la défense au sein de l’Union européenne ». Le gouvernement wallon n’a ici aucune marge de manœuvre : il doit traduire en droit interne les dispositions de la directive avant le 31 décembre de cette année, compte tenu du délai supplémentaire de 6 mois qui lui a déjà été accordé.
D’autre part, le projet de décret fixe un ensemble de procédures qui pour l’essentiel étaient déjà d’application, à deux exceptions près. La première, dite la « procédure de l’accord préalable » qui suscite l’ire du secteur de l’armement, concerne un nombre limité de pays importateurs considérés comme particulièrement sensibles ou sortant d’embargo et vers lesquels les entreprises wallonnes n’ont encore jamais, ou très peu, exporté d’armes. Dans certains cas, il leur sera demandé d’obtenir l’accord du gouvernement AVANT de procéder à la signature d’un contrat. Actuellement, une entreprise qui aurait signé un contrat d’armement avec un pays instable ou sensible en raison de sa situation interne ou régionale risque de se voir refuser sa licence d’exportation à un moment où les investissements relatifs à ce contrat sont déjà engagés, et la production lancée. La procédure d’accord préalable lève ce risque en donnant à l’entreprise, le plus tôt possible avant la conclusion du contrat, une indication claire, précise et rapide quant à la faisabilité future du marché. Une sécurité supplémentaire, tant dans l’intérêt des entreprises que des travailleurs, qui devrait permettre d’éviter un nouveau psychodrame comme celui qui a entouré l’octroi des licences d’exportations vers la Libye du colonel Kadhafi en juin 2009.
La seconde nouveauté réside dans le statut donné à la « Commission d’avis sur les licences d’exportations et de transferts d’armes ». Cette Commission existe déjà, et fonctionne relativement bien depuis la régionalisation de la compétence « armes » en 2003. Constituée d’experts de divers horizons, elle doit être informée de tous les dossiers. À la demande du gouvernement ou si elle l’estime nécessaire, elle émet un avis sur la base d’une analyse géostratégique, éthique et économique du pays de destination. Il manquait à cette Commission un cadre légal, fixant sa composition et ses compétences. Ce sera chose faite, et ceci semble la moindre des choses afin de garantir une décision indépendante et équilibrée, préservée de l’arbitraire et des pressions extérieures.
La dramatisation mise en scène par les représentants du secteur de l’armement révèle de manière affligeante leur incapacité à prendre toute la mesure du caractère particulier de la production et du commerce des armes. Le projet de décret wallon est très en-deçà de ce que l’on pouvait attendre d’un pays dont la diplomatie se profile en pointe sur les questions relatives à la prévention des conflits et à la maitrise des armements. Mais même s’il n’est qu’un « minimum minimorum », il a le mérite de rappeler dans un cadre légal les obligations et responsabilités de toutes les parties prenantes en matière de commerce des armes. Il est aussi l’occasion de rappeler que la responsabilité politique ne s’arrête pas à la décision d’octroyer ou non une licence d’exportation vers un pays donné. Lorsque la décision est positive, la responsabilité du gouvernement est engagée sur le très long terme, singulièrement lorsqu’il s’agit d’exporter des armes légères et de petit calibre et leurs munitions. Ces derniers mois ont montré, images à l’appui, l’impact désastreux de certaines exportations d’armes au Proche et Moyen-Orient. Après le pillage des arsenaux de Kadhafi, les armes de la FN Herstal – tant les grandes quantités de FAL vendues avant les embargos que les armes dernier cri exportées en 2009-2010 – sont désormais dans la nature, entre les mains de civils ou de groupes armés non gouvernementaux, notamment celui d’AQMI (Al Qaïda au Maghreb islamique).
Cette responsabilité, politique et éthique, peut aussi avoir un coût qui pourrait rapidement s’avérer bien plus élevé que les bénéfices immédiats engrangés par les entreprises du secteur. En octobre 2011, l’Allemagne a annoncé qu’elle affecterait 750 000 euros à un programme destiné à sécuriser ou à détruire les armes légères qui ont échappé au contrôle du gouvernement en Libye. À défaut de pouvoir délier sa bourse à l’instar de l’Allemagne, la Région wallonne entend plus modestement clarifier les conditions dans lesquelles elle exportera ses armes. La prolifération incontrôlée d’armes légères et de munitions est un enjeu de sécurité internationale auquel ni le syndicaliste ni l'industriel ne peuvent rester insensibles.