Le remplacement des F-16 belges en dix points-clés

06 Septembre 2017

Ce 7 septembre 2017, les trois agences gouvernementales encore en compétition pour le remplacement des F-16 de la Composante air doivent remettre leurs propositions et réponses au cahier des charges émis par le gouvernement belge en mars dernier. Cet éclairage revient sur quelques questions importantes soulevées par cette première partie du processus de remplacement.

1. Quelques chiffres

La Belgique avait commandé un total de 160 F-16 en deux vagues d’achat (116 en 1975 et 44 en 1984). La fin de la Guerre froide et l’engagement des F-16 belges dans des missions expéditionnaires exigeantes ont poussé à réduire la flotte autour d’un petit nombre d’appareils modernisés. La Belgique en possède actuellement 54. Ces appareils ont été construits pour une durée de vie de 8 000 heures de vol, qui sera atteinte entre 2023 et 2028. Ces appareils seront progressivement remplacés par 34 nouveaux avions de combat avec une capacité pleinement opérationnelle prévue pour 2030.

Crédit photo : F-16 belge survolant l'Afghanistan (source : U.S. Air Force/Staff Sgt. Aaron Allmon)

2. Peut-on prolonger la durée de vie des F-16 belges ?

La question d’un prolongement des F-16 est revenue plusieurs fois à travers des questions parlementaires. La durée de vie de 8 000 heures de vol est déterminée par le constructeur (General Dynamics, à l’époque). Si des F-16 de l’US Air Force ont vu leur durée de vie prolongée à 12 000 heures de vol, cette mesure ne concerne que les F-16 de type C/D block 40 à block 52 de fabrication plus récente que les F-16 belges A/B block 15. De plus, la Défense belge insiste sur la mise en commun des frais d’exploitation et de développement des avions de chasse. Parmi les quatre pays européens qui avaient originellement choisi le F-16 lors du « contrat du siècle » de 1975, tous ont indiqué qu’ils n’investiraient plus dans le développement du F-16 et ont fait le choix de son remplacement[1]. La Belgique se retrouverait donc seule à investir dans une plateforme en fin de course.

3. Quels sont les avions en lice ?

Il reste trois candidats au remplacement du F-16, le F-35 Lightning II de Lockheed-Martin, le Rafale de Dassault et l’Eurofighter Typhoon de Airbus Military. Boeing a retiré son F-18 Super Hornet de la course en avril et SAAB, qui proposait le JAS-39 Gripen E/F, a abandonné début juillet.

4. Pourquoi deux candidats ont-ils abandonné ?

Boeing a été le premier à se retirer en évoquant dans un communiqué de presse une compétition dans laquelle il n’avait pas les mêmes chances que les autres candidats (lack of level-playing field)[2]. Ce communiqué, qui n’avait pas été diffusé par Boeing lui-même mais bien par la société de lobbying avait laquelle il travaillait en Belgique, avait provoqué un certain mécontentement chez le ministre de la Défense Steven Vandeput[3]. En réalité, il est fort probable que les chances réduites de Boeing aient plus à voir avec la position de Washington qu’avec la compétition belge. Dans le cadre de la vente d’État à État voulue par le gouvernement belge, les États-Unis doivent soutenir deux compétiteurs, Boeing et Lockheed Martin. Il est fort possible que Boeing ait perçu que les priorités du gouvernement américain ne se portaient pas sur le Super Hornet mais bien sur le F-35. Deuxièmement, le gouvernement belge a insisté dans le RfGP – Request for Government Proposal, à savoir le document encadrant la procédure – sur l’établissement d’un véritable partenariat avec le gouvernement vendeur (voir ci-dessous) ainsi que sur les possibilités de coopération au niveau européen. Si le F-35 a déjà été acquis par plusieurs forces aériennes en Europe, ce n’est pas le cas du F-18 Super Hornet. Son utilisateur principal l’US Navy n’a pas non plus d’avions stationnés de façon permanente en Europe, ce qui rend difficiles les coopérations avec la Belgique. Dans le type de partenariat demandé par la Belgique, Boeing avait sans doute moins de chances et a préféré se concentrer sur d’autres marchés.

Dans le cas de SAAB, ce sont de nouveau des impératifs politiques qui ont joué. Le gouvernement suédois estime que « la Belgique demande un soutien opérationnel étendu de la part de l’État fournisseur. Ceci demanderait un mandat politique suédois dans le domaine de la politique étrangère qui n’existe pas actuellement.»[4] Neutre, le gouvernement suédois ne veut/peut pas fournir un soutien opérationnel pour un déploiement conjoint avec la Belgique.

5. Avec qui la Belgique négocie-t-elle ?

Comme mentionné plus haut, la Belgique ne négocie pas directement avec les constructeurs mais bien avec des agences gouvernementales qui les représentent. Il s’agit du Joint Program Office pour le F-35, de la Direction générale de l’armement pour le Rafale et du UK Trade and Investment Defence and Security Organisation pour l’Eurofighter. L’achat du F-16 avait été réalisé avec trois partenaires européens (Norvège, Danemark et Pays-Bas) à travers un accord avec les États-Unis. Cet accord a permis de mutualiser les coûts des modernisations successives des appareils.

La Belgique veut donc s’associer à un gouvernement pour bénéficier d’un soutien dans le développement et la mise en œuvre de l’appareil (modernisation, achat d’armements groupé, mise à disposition de terrains d’entrainement, formation conjointe des pilotes, soutien aux opérations, etc).

6. Quel coût pour le remplacement des F-16 ? Et pour la capacité de combat aérien dans son ensemble ?

La Défense prévoit un coût d’acquisition de 3,412 milliards d’euros pour les 34 nouveaux appareils à répartir sur la période 2020-2030. La Défense estime le Total Capability Cost, à savoir l’ensemble des coûts ayant un lien direct ou indirect avec la capacité de combat, à 14,97 milliards d’euros sur 40 ans (de 2018 à 2058), à savoir 374 millions d’euros par an en moyenne. Des variations de 10 % peuvent survenir suivant l’évolution de l’inflation et des cours des changes entre le dollar et l’euro[5].

7. Comment se déroulera l’évaluation ?

La procédure d’évaluation des trois candidats comporte trois grands domaines : les capacités, les coûts et les « intérêts de sécurité essentiels » (retours économiques). En ce qui concerne les capacités, le RfGP contient une série de questions très techniques, 164 en tout. Ces questions couvrent tous les domaines, des caractéristiques de vol aux sous-systèmes de l’appareil (communications, navigation, fusion de données, radar, etc.) en passant par les équipements associés (viseurs de casque, jumelles de vision nocturne, etc.) et les capacités au combat. De plus, six scénarios tactiques complexes ont été élaborés par la Défense et seront testés sur simulateur par des pilotes belges. L’onglet capacités couvre également la question du partenariat avec l’État vendeur. En ce qui concerne les coûts, la Défense a construit un tableau complet de la structure des coûts auquel devront répondre les différentes agences candidates au remplacement des F-16 (Cost Data Table).Les différents domaines d’évaluation sont pondérés : 57 % des points étant attribués aux capacités, 33 % aux coûts et 10 % pour les retours économiques.

8. La Belgique peut-elle rééditer le coup du F-16 au niveau des compensations industrielles ?

L’achat des F-16 est souvent crédité pour avoir contribué à l’essor de l’industrie aéronautique belge et wallonne en particulier (filière moteurs avec des entreprises comme Techspace aero devenu Safran Aero Booster Pratt & Whitney Belgium Engine Center) ainsi que des compétences en matière d’entretien des avions et les bords d’attaque d’ailes (SABCA, SONACA). Toutefois, le contexte a fondamentalement changé depuis l’acquisition des F-16. La Belgique n’agit plus dans le cadre d’une coalition d’États européens qui peuvent peser face à l’industriel, la commande belge représente un nombre relativement faible d’appareils et le processus industriel des avions candidats est déjà consolidé. De plus, les dispositions légales en termes de compensations industrielles se sont sévèrement renforcées au niveau européen. La comparaison entre les deux contrats ne tient donc pas pour des raisons légales, stratégiques et financières.

9. Le processus est-il impartial ?

De nombreux commentateurs ont estimé que « les jeux étaient déjà faits » et que le F-35 sortirait gagnant de la compétition, pression des États-Unis oblige. Le processus semble pourtant assez ouvert. En publiant le RfGP, le gouvernement a accepté les critères et les pondérations utilisés pour évaluer les différents candidats. Remettre en question l’évaluation de la Défense revient à remettre en question les critères et les pondérations présents dans le RfGP qui a été approuvé par le gouvernement. Dans le cas belge, tous les critères, y compris ceux des coûts, ont été approuvés dès le début de la procédure. De plus, le gouvernement ne négocie pas avec des entreprises privées mais avec bien des agences gouvernementales. Si la Belgique ne respecte pas sa propre procédure, elle risque des complications diplomatiques avec les États floués, qui sont tous des alliés.

10. La capacité nucléaire est-elle une exigence du gouvernement belge ?

Oui et non, le RfGP inclut indirectement la capacité d’emport nucléaire dans la section consacrée au potentiel d’évolution et de croissance de l’appareil et compterait pour une toute petite partie (entre 0,3 et 0,7 % selon différentes sources) de l’évaluation. Le sujet est abordé par une question ouverte sur le type de munitions qui pourront être emportées par les différents avions dans le futur. En donnant au nucléaire une très petite pondération, le gouvernement a évité de fausser tout le processus puisque seul le F-35 est assuré de pouvoir embarquer les bombes nucléaires tactiques stockées à Kleine-Brogel[6].

L’auteur

Denis Jacqmin est chercheur au GRIP, dans l’axe « armes légères et transferts d’armes ». Il a été observateur international pour les missions SMM Ukraine (2014-2015) et EUMM Georgia (2012-2013). 


[1]. Les cinq pays du Multinational Fighter Program (MNFP) conclu en 1975 étaient la Norvège, le Danemark, les Pays-Bas et la Belgique en coopération avec les États-Unis. Le Portugal a rejoint le MNFP plus tard, en 2000. Le gouvernement portugais n’a pas encore pris de décision sur le remplacement de ses F-16.  

[3]. Site internet personnel de Karolien Grosemans, Mondeling vraag inzake de vervanging van de F-16 jachtvliegtuigen, 19 avril 2017.

[5]. Chambre des Représentants de Belgique, Audition sur la prospection organisée par la Défense belge dans le cadre du dossier du remplacement des avions de chasse F-16, avec le Colonel Harold Van Pee, chef du bureau Air Combat Capability Program auprès de l’état-major de la Défense, 20 avril 2016, 1782/001.

[6]. Voir Maïka Skjønsberg, « Armes nucléaires américaines en Europe : les raisons du statu quo », Rapport du GRIP 2016/3 ainsi que Hans M. Kristensen, « Upgrades at U.S. Nuclear Bases in Europe Acknowledge Security Risk », Federation of American Scientists, 10 septembre 2015.

Pour en savoir plus :

Le remplacement des F-16 belges : processus et enjeux