Dépenses militaires mondiales: l’arc oriental fourbit ses armes

26 Avril 2016
Les dépenses militaires globales de la planète sont estimées à 1 676 milliards USD en 2015 (1 773 milliards aux prix et taux de change de 2014), selon les dernières données publiées par le Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI) .
Cette somme représente une hausse d’environ 1% en termes réels par rapport à 2014. Elle est équivalente à 2,3% du produit intérieur brut mondial et à une moyenne d’environ 230 dollars par habitant.
Les États-Unis, avec des dépenses militaires de 596 milliards USD en 2015, dominent de loin tous les autres pays et représentent à eux seuls 35,6% du total mondial. Ils sont suivis par la Chine, dont les dépenses estimées à 215 milliards comptent pour 12,8% du total.
L’Arabie saoudite, dont les dépenses militaires ont doublé entre 2006 et 2015 et sont probablement sous-estimées selon le SIPRI, se hisse pour la première fois à la troisième place du classement et pèse 5,2% du total mondial (87 milliards).
La Russie est rétrogradée à la quatrième place principalement en raison de la chute du rouble, tandis que le Royaume-Uni, profitant d’un euro faible, se hisse devant la France, elle-même dépassée par l’Inde, qui occupe la sixième place en 2015.  
Le Top 10 des pays les plus dépensiers pour leur effort militaire est complété par le Japon, l’Allemagne et la Corée du Sud, dont les dépenses militaires représentent respectivement de 2,4% à 2,2% du total mondial.

Une tendance ininterrompue à la hausse

Il s’agit de la première hausse après trois années consécutives de diminution depuis 2011. La crise des finances publiques et la fin de la Guerre froide avaient amené les dépenses militaires à leur niveau le plus bas en 1998, année à partir de laquelle elles ont recommencé à croitre sans discontinuer jusqu’en 2011.
Cette brève et apparente accalmie de 2011 à 2014 s’explique essentiellement par la trajectoire des États-Unis : le retrait des troupes d’Afghanistan et d’Irak ainsi que l’impact du Budget Control Act de 2011 ont en effet entrainé une réduction des dépenses militaires américaines de 21,4% entre 2010 et 2015.
Abstraction faite des États-Unis, les dépenses militaires globales sont donc en hausse ininterrompue depuis 1998 (+164,7%) et affichent en réalité une hausse de 13,5% depuis 2011, en raison principalement des taux de croissance importants en Europe centrale et orientale, en Asie du Sud et du Sud-Est, et au Moyen-Orient.
L’Arabie saoudite est aussi le pays qui a dépensé le montant le plus élevé par habitant en 2015 : 2 778 USD par tête. Elle est suivie par Oman (2 574 USD per capita) et par Israël (1 923 USD), deux autres pays du Moyen-Orient. Les États-Unis sont quatrième à ce classement, avec des dépenses militaires par habitant de 1 854 USD en 2015. À titre de comparaison, la Belgique occupe la 29e place avec environ 368 USD par habitant, et la Chine est 55e avec 156 USD par habitant.
Plusieurs de ces champions des dépenses per capita se retrouvent aussi en tête du classement des pays en termes de pourcentage du produit intérieur brut (PIB) alloué aux dépenses militaires. C’est le cas de Oman et de l’Arabie saoudite qui consacrent respectivement 16,2% et 13,7% de leur PIB aux dépenses militaires. Avec le Soudan du Sud (13,8% du PIB), ils constituent les seuls trois pays qui consacrent plus de 10% de leur PIB aux activités militaires. Aux États-Unis, malgré des dépenses per capita très élevées, l’effort pour l’économie américaine ne représente cependant que 3,3% du PIB. Selon les données harmonisées du SIPRI, les dépenses militaires de la Belgique représentent seulement 0,9% de son PIB.

Évolutions au cours de la période 2006-2015

L’Irak est le pays qui affiche la plus forte augmentation de ses dépenses militaires depuis 2006 : + 536% de croissance, afin de permettre la reconstitution de ses forces armées après l’invasion par les États-Unis en 2003, suivie de leur retrait progressif entre 2009 et 2011, mais également pour acquérir les capacités nécessaires dans la guerre contre l’État islamique.
À l’autre extrémité de ce classement, le Venezuela, en proie à une sévère crise économique et une chute importante de ses revenus pétroliers, est le pays qui affiche la plus forte diminution de ses dépenses militaires au cours des dix dernières années (– 77%). 
Les tendances régionales sont marquées en 2015 par l’absence de données pour le Moyen-Orient, le SIPRI estimant impossible de produire une estimation fiable en raison de l’incertitude ou l’absence de chiffres pour un trop grand nombre de pays de la région. La faible diminution encore observée pour l’Europe occidentale pourrait signaler une prochaine inversion de tendance, les trois principales puissances militaires de la région – Royaume-Uni, France et Allemagne – ayant indiqué un prochain accroissement de leurs dépenses militaires. En revanche, la forte croissance en Europe centrale et orientale reflète clairement la défiance de ces pays à l’égard de la Russie de Vladimir Poutine.
Sur le continent asiatique, la progression la plus importante concerne l’Asie du Sud-Est (+ 8,1%) en raison des tensions avec la Chine en mer de Chine méridionale qui expliquent le réarmement substantiel des Philippines, de l’Indonésie et du Vietnam. De même en Asie de l’Est (+ 5,7%), les tensions avec la Chine et la Corée du Nord entrainent un effort de défense soutenu au Japon et en Corée du Sud. 
En légère diminution ailleurs sur le continent, les dépenses militaires restent à la hausse en Amérique centrale qui continue à devoir affronter le crime organisé et une extrême violence.
Les fortes hausses des dépenses militaires en Algérie et en Libye expliquent la tendance en Afrique du Nord, en contraste avec une diminution significative en Afrique subsaharienne.
C’est donc un arc oriental presque continu, s’étendant de l’Europe centrale et orientale, en passant par le Moyen-Orient, jusqu’à l’ensemble du pourtour asiatique qui concentre les principaux foyers de tensions et l’essentiel des facteurs de croissance des dépenses militaires mondiales.
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L’auteur

Luc Mampaey est le directeur du GRIP, docteur en sciences économiques, ingénieur commercial et titulaire d’une maîtrise en gestion de l’environnement