18 Avril 2012
Le Mali est plongé depuis le début de l’année 2012 dans une situation inquiétante : nouvelle rébellion touareg au nord du pays qui entend libérer cette région appelée Azawad, présence sur le territoire de différents groupes salafistes armés, menace d’une famine dans tout le Sahel, dizaines de milliers de Maliens déplacés du fait des combats entre touareg et Bamako (pour une vue d’ensemble voir le Monitoring du 1er trimestre 2012). Conséquence inattendue de cette situation explosive, un commando militaire dirigé par un certain Amadou Sanogo renverse le 22 mars le président en place Amadou Toumani Touré (communément appelé ATT), qui devait pourtant se retirer du pouvoir à la faveur des élections présidentielles prévues initialement pour le 29 avril. En cause : sa faiblesse face à la rébellion touareg du MNLA (Mouvement National de Libération de l’Azawad) qui depuis janvier multiplie les attaques victorieuses dans le nord et semble en bonne voie pour conquérir les principales villes de la région. Face à ces défaites, l’armée se sent abandonnée par Bamako, démunie, et entend bien reprendre les rênes de la lutte afin de repousser le risque de partition du pays.
Ironie du sort, c’est pendant les quelques jours de présence de la junte au pouvoir que la situation au nord-Mali s’est le plus dégradée. Fin mars-début avril le MNLA revendique la prise des villes stratégiques de Kidal, Gao et Tombouctou, prenant ainsi le contrôle de la moitié du pays. Le mouvement déclare même l’indépendance de l’Azawad le 6 avril, bien que cette dernière ne soit reconnue par personne. Et comme si la situation n’était pas assez critique, différents groupes armés salafistes affirment à leur tour détenir ces villes. En premier lieu Ansar ed-Dine (« les défenseurs de la religion »), mouvement touareg islamiste qui lui revendique l’application de la charia dans le nord-Mali. Dirigé par le fameux Iyad ag Ghali, ancien chef des rébellions touareg des années 90 puis médiateur pour l’État malien lors des négociations avec AQMI, les combattants défilent dans les rues de Tombouctou le jour de sa chute le 2 avril. Et dès les jours suivants, la présence d’AQMI est elle aussi relayée avec la signalisation du chef Mokhtar Belmokhtar à Gao puis Tombouctou. S’ensuivent la diffusion de diverses informations, déclarant les deux mouvements alliés dans leurs nouveaux rôles de chefs islamiques : fermeture des débits de boisson, incendies d’églises, viols, pillages. Des informations qu’il convient de considérer avec prudence au vu de la situation chaotique de la région fermée aux journalistes. À cela s’ajoute l’arrivée d’un autre groupe jihadiste nommé MUJAO (Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest) qui le 8 avril revendique l’enlèvement de diplomates algériens à Gao. Enfin, des membres de Boko Haram, secte islamiste nigériane qui terrorise le Nigéria, auraient également été aperçus. Une situation floue et explosive qui ne manque pas d’alerter les pays voisins et occidentaux soucieux de préserver l’intégrité territoriale du Mali et de lutter contre l’extension de la menace islamiste dans un Sahel convoité.
C’est la CEDEAO (Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest) qui prend les choses en main dès l’annonce du coup d’État du 22 mars. Des menaces budgétaires, diplomatiques et économiques sont rapidement proférées à l’encontre des mutins, ajoutées à la menace de l’envoi d’une force militaire pour rétablir l’état de droit malien. Conscient de sa faiblesse et de son isolement, Amadou Sanogo, le chef de la junte, finit par rendre le pouvoir aux civils par la signature d’un accord-cadre avec la CEDEAO le 6 avril, accord qui garantit l’amnistie aux militaires putschistes. Dioncounda Traoré, Président de l’Assemblée nationale du Mali au moment du putsch, est investi selon la Constitution du pays Président par intérim le 12 avril. Et le 17 avril il nomme Premier ministre de transition Cheick Modibo Diarra, astrophysicien de renom.
Un semblant de retour à l’ordre constitutionnel se fait donc sentir au Mali, désormais doté d’un Premier ministre aux pleins pouvoirs après près d’un mois d’une crise politique majeure. De lourdes tâches attendent désormais Cheick Modibo Diarra : le rétablissement de l’état de droit au nord du Mali, la lutte contre les islamistes et les touareg indépendantistes, le renforcement de l’armée, l’organisation du retour des réfugiés et bien sur l’organisation d’élections crédibles. Le tout avec l’aide d’une CEDEAO sortie grandie de l’affaire qui envisage toujours l’envoi d’une force armée au Mali, cette fois-ci pour mater les groupes armés. Sans oublier les alliés originels du Mali, notamment la France, qui malgré son refus proclamé d’intervenir militairement dans le pays évoque cependant la possibilité de l’envoi d’une aide logistique à la CEDEAO. Pourtant, même si la junte a officiellement rendu le pouvoir, elle semble depuis vouloir réaffirmer son rôle dans le gouvernement de transition. De nombreux proches d’ATT ainsi que plusieurs chefs militaires ont été arrêtés depuis lundi par des militaires de l’ex-junte et seraient détenus dans le camp militaire de Kati non loin de Bamako, ancien fief des putschistes. Aucune déclaration officielle n’a été prononcée par Amadou Sanogo. L’ordre constitutionnel ne semble ainsi pas totalement rétabli à Bamako, laissant craindre une dégradation toujours plus grande de la situation au nord faute de politique claire.