Traité sur le commerce des armes : la deuxième conférence des États parties

19 August 2016

Du 22 au 26 août 2016 se déroulera à Genève la deuxième conférence des États parties au Traité sur le commerce des armes (CSP2 ou Second Conference of States Parties). La conférence réunira les représentants des États parties, signataires et observateurs, les représentants d’organisations régionales et internationales, ainsi que les représentants de l’industrie, le tout sous le regard attentif des organisations de la société civile et des centres de recherche. Comme lors de la première conférence qui s’est tenue en août 2015 à Cancun, le GRIP sera présent à Genève afin de suivre les discussions qui devront porter principalement sur les progrès et les difficultés dans la mise en œuvre du Traité.

Un traité récent attendu depuis longtemps

Le Traité sur le commerce des armes (TCA) est un traité multilatéral juridiquement contraignant qui régule le commerce international des armes conventionnelles – des armes légères au chars d’assaut en passant par les avions de chasse, les bateaux de guerre et les missiles – selon des « normes communes les plus strictes possibles »[1]. Le Traité vise également à prévenir et éliminer le commerce illicite et empêcher le détournement de ces armes. L’intention première du TCA est de contribuer à la paix et la sécurité, réduire la souffrance humaine et promouvoir la coopération, la transparence et l’action responsable des États parties.

Le Traité sur le commerce des armes a été adopté par l’Assemblée générale des Nations unies le 2 avril 2013 après sept années de négociations et plus de vingt ans de pression de la part de la société civile. Il est entré en vigueur le 24 décembre 2014, compte 83 États parties et 130 pays signataires sur un total de 194 membres des Nations unies[2]. La Belgique est partie au TCA et a ratifié le Traité le 3 juin 2014. Parmi les grands absents on retrouve quelques poids lourds du commerce international des armes : l’Arabie saoudite, le Canada, la Chine, les États-Unis[3], l’Inde, le Pakistan et la Russie.

Un business florissant aux conséquences graves

En 2014, les ventes d’armes et de services militaires des 100 principales entreprises productrices d’armement dans le monde représentaient un juteux marché de 385,7 milliards USD. Le volume des transferts d’armements conventionnels majeurs a bondi de 14 % entre 2006-2010 et 2011-2015[4]. Les transferts d’armes légères et de petit calibre ont quant à eux augmenté de 17 % entre 2012 et 2013 pour atteindre les 5,8 milliards USD.

Au-delà d’un chiffre d’affaire et d’une croissance impressionnants, le commerce des armes joue un rôle essentiel dans le bal mortel des conflits et des homicides. Chaque année, on recense 70 000 décès des conséquences directes des conflits et quelque 200 000 personnes tombent sous les balles d’une arme à feu[5]. À ces chiffres affolants doivent venir s’ajouter les 60 millions de personnes forcées à fuir des combats ainsi que les blessures par balles non-mortelles qui touchent au moins 754 000 personnes par an, et dont les conséquences économique et psychosociale « font peser une lourde charge sur les survivants, leurs familles, communauté et société »[6].

Le défi de la mise en œuvre

Avec plus de 60 États membres des Nations unies qui n’ont toujours pas signé le TCA, nombreux sont les pays et les ONG à encourager de nouvelles signatures et ratifications afin que le Traité et sa contribution à la paix et à la sécurité devienne réellement universel. Au-delà de cet utile effort d’universalisation se trouve la question importante des défis auxquels font face de nombreux États parties pour mettre en œuvre le Traité. Conscient des conséquences humaines et sociales du commerce non-réglementé des armes et encouragés par une société civile et des ONG internationales intéressées par une entrée en vigueur rapide du Traité, de nombreux pays – principalement du Sud – ont signé et ratifié le TCA avant même de transposer ses dispositions dans la législation nationale. Pour ces pays, le défi principal réside maintenant dans la mise en place d’un régime national de contrôle des transferts d’armes qui soit efficace, transparent et conforme aux exigences du TCA.

Pour assister certains pays dans leurs efforts, le GRIP, conjointement avec le Small Arms Survey et avec le soutien de UNSCAR[7], travaille avec les institutions nationales de huit pays d’Afrique sub-saharienne à l’identification de leurs priorités et à l’élaboration d’une feuille de route pour une harmonisation de la mise en œuvre du TCA et du PoA[8]. Ce projet doit contribuer au renforcement des capacités nationales et régionales.

La deuxième conférence des États parties au TCA sera l’occasion de discuter des actions concrètes qui auront été prises au cours de l’année écoulée et de partager les bonnes pratiques pour la mise en œuvre du Traité.  Le GRIP accueille d’ailleurs avec enthousiasme le lancement le 23 août, en marge du CSP2, d’un guide pratique pour la mise en œuvre du TCA par le Small Arms Survey[9].

La transparence : encore un effort

En vertu du Traité, les États parties s’engagent à soumettre pour le 31 mai au Secrétariat du TCA un rapport annuel concernant les importations et les exportations d’armes classiques autorisées ou effectuées l’année précédente. Lors du CSP2, et après l’échec de la dernière conférence, les États devront s’accorder sur un format de rapport annuel définitif. En tant qu’outils de transparence importants, ces rapports obligent les États à rendre des comptes et permettent de les tenir pour responsable de leurs actions. À l’aube de la CSP2, on peut regretter que seuls 46 États aient soumis leur rapport annuel (dont une grande partie au-delà de la date limite), mais on peut toutefois se réjouir que seuls deux pays ont demandé à ce que celui-ci reste confidentiel. Un signe fort des États en faveur de plus de transparence serait de tout simplement rendre ces rapports publics par défaut.

Malgré un léger retard, la Belgique fait office de bon élève ayant soumis son rapport annuel le 25 juillet 2016[10]. En revanche, elle récolte de moins bons points à la lecture de celui-ci. Le petit royaume rapporte en effet avoir autorisé l’exportation pour près de 400 millions USD d’armes légères à l’Arabie saoudite en 2015, pays à la tête d’une coalition militaire à l’œuvre au Yémen depuis le mois de mars de la même année et accusée de violations flagrantes des droits de l’homme et du droit international humanitaire. 

De la responsabilité des États

Le Traité sur le commerce des armes reconnait à tous les États le droit de légitime défense et l’intérêt légitime d’acquérir des armes pour exercer celui-ci. Mais le TCA exige que les États respectent et fassent respecter le droit international humanitaire et les droits de l’homme. Depuis son entrée en vigueur en décembre 2014, d’importants transferts d’armements vers des zones de conflits, des pays en guerre ou des régimes brutaux ont entrainé de très nombreuses critiques quant aux décisions prises par certains États exportateurs d’armes et parties au TCA.
Le TCA est un traité juridiquement contraignant pour les États parties mais il n’instaure aucun mécanisme ou aucune autorité compétente pour poursuivre les violations de ses dispositions. La mauvaise publicité (le fameux « name and shame ») apparait aujourd’hui comme la principale (et la seule ?) arme à disposition de ceux qui veulent demander des comptes aux États accusés de décisions irresponsables en terme de transferts d’armes.

À Genève, l’inconnue est de savoir si les États parties auront le courage d’aborder les questions les plus difficiles et s’ils saisiront l’opportunité de cette deuxième conférence pour discuter ouvertement de leurs rôles dans les transferts internationaux d’armes au regard de l’objet du TCA. Les États doivent montrer lors du CSP2 et démontrer au quotidien leur engagement total pour une mise en œuvre du Traité fidèle à son objectif premier qui est de contribuer à la paix et la sécurité et de réduire la souffrance humaine. Sans le respect de normes communes strictes et l’adoption de comportements responsables de la part des États, le commerce international des armes continuera inévitablement d’avoir des conséquences sécuritaires, sociales, économiques et humanitaires dévastatrices aux quatre coins du monde.

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L’auteur

Christophe Stiernon est chercheur au GRIP pour le projet « Armes légères et transferts d’armes ». Il travaille en particulier sur les questions liées au contrôle des transferts d’armements de l’Union européenne et les instruments internationaux de contrôle des armes légères et de petit calibre.



[1]. Le texte intégral du Traité sur le commerce des armes en français est disponible sur le site de l’UNODA.

[2]. UNODA, ATT status of ratifications and accessions (au 19 août 2016)

[3]. Les États-Unis sont signataires du TCA mais en l’absence de ratification, il n’y a aucun engagement de leur part pour respecter les dispositions du Traité.

[4]. Les « armements conventionnels majeurs » englobent, selon le SIPRI, les aéronefs, systèmes de défense anti-aérienne et sous-marine, véhicules blindés, artillerie, systèmes radar, missiles, navires, moteurs, satellites et autres mais ne comprennent pas les armes légères et de petit calibre, les pièces d’artilleries d’un calibre inférieur à 100 mm ainsi que les munitions.

[5]. The Geneva Declaration. 2015. Lethal Violence Update, in Global Burden of Armed Violence 2015: Every Body Counts. Cambridge: Cambridge University Press.

[6]. Alvazzi del Frate, Anna and Luigi De Martino. 2013. Everyday Dangers: Non-conflict Armed Violence In Small Arms Survey 2013: Everyday Dangers. Cambridge: Cambridge University Press.

[7]. Facilité des Nations unies en soutien à la coopération en matière de réglementation sur les armes.

[8]. Nom complet : Programme d’action des Nations unies en vue de prévenir, combattre et éliminer le commerce illicite des armes légères sous tous ses aspects, Nations unies, A/CONF.192/15, 20 juin 2001.

[9]. The Small Arms Survey, Save the date : Launch of ‘The Arms Trade Treaty: A practical guide to Implementation'.